Les Gouères
C’est jour de fête. On fait des gouères pour les deux petites filles. La recette s’est transmise longtemps dans la famille puis elle s’est perdue avec le temps. Des gouères. Prononcer ce mot qui s’annonce comme un voyage. Commencer par goût et goûter et les RRR bourguignons comme des cailloux qui roulent. Est-ce que l’on peut les manger ces « goûts » et ces « RRR » terribles à entendre mais dont l’association provoque un excès de salive. Ce ne sont pas les crapiaux du Morvan. Les Cra- piaux semblent un goûter beaucoup trop lourd pour les estomacs délicats des enfants. On entend pi/au/ comme peau et c’est déjà indigeste. La gouère est une sorte de galette épaisse, traditionnelle en Saône et Loire et en Bourgogne. Confectionner la pâte qui ressemble beaucoup à la pâte à crêpes. Préparer aussi à l’avance les petites poêles noires qu’il faut graisser avant de pouvoir les mettre au four. Casser les œufs dans la fontaine de farine. S’emparer du fouet et tourner énergiquement le mélange pour éviter les grumeaux. Ajouter ensuite une pincée de sel, du lait et beaucoup d’huile. La pâte change de consistance. Elle devient lisse et lourde. Sa couleur lactée se transforme avec la graisse en jaune pâle. Bouton d’or. On s’amuse à la tourner à tour de rôle. Il faut ensuite prendre une louche de pâte. La verser dans une des poêles et la saisir sur la gazinière dans une première cuisson. Juste saisie la gouère est enfournée dans le four environ vingt minutes. La pâte lève et gonfle par endroit. Des cloques se forment et éclatent parfois à sa surface. Alors que la première gouère est cuite la seconde est déjà en préparation sur le gaz avant que d’être enfournée au four. Sur le plat préparé, les gouères s’amoncèlent vite épaisses et luisantes avec des craquelures et des couleurs brunes et dorées. On les mange encore chaudes avec du sucre ou de la confiture. On préfère toujours les manger avec les doigts même si elles brûlent un peu.
Les frites. Les pommes de terre, après avoir été préalablement lavées, sont coupées en quartier. On les place dans un saladier. La bassine de végétaline est sortie. La graisse est figée toute blanche, on dirait de la neige. Placée sur le feu de la gazinière, elle commence à ramollir et à se liquéfier progressivement. Elle devient translucide et fond comme de la bougie, on a envie de la manger. Elle se fait peu à peu huileuse et elle prend la consistance de l’eau. Il faut attendre qu’elle soit bien chaude pour verser les pommes de terre à frire dans le panier de friture. Il faut attendre encore. La végétaline frémit on y jette les pommes de terre en évitant les éclaboussures. Les pommes de terre dorent, leur couleur jaune paille change. Il faut encore attendre qu’elles brunissent alors on retire le panier et on verse les frites sur un plat. Il faut ajouter le sel et elles sont prêtes. Elles craquent sous la dent surtout les plus brunies -les plus molles fondent sous la langue.
La sauce peut être épaisse et marron. Elle fume et elle englue les morceaux de viande que l’on ne reconnaît pas. Elle est pourtant assez liquide pour accompagner le riz blanc. Ces morceaux qu’elle entoure et qu’elle dissimule à la vue sont comestibles. Ils se révèlent assez mous et ont une texture caoutchouteuse sous la dent. Un goût de bois prononcé et des bords avec des lamelles permettent d’identifier les champignons. La fourchette en attrape un et le porte à la bouche. Il est saisi et mastiqué par les dents puis avalé sans effort. Dans l’assiette, d’autres morceaux sont noyés dans la sauce. On a dit viande. Vie Ande. Un rejet provoqué par le son même. On essaie de couper avec le couteau. Cela résiste. Il y a des fibres, comme des fils. On fait de petites bouchées. C’est assez tendre mais moins facile à avaler. Il faut couper avec les dents et mâcher ces fibres pour les réduire en bouillie après on ingurgite. On en a plein la bouche. On sent la sauce au vin qui imprègne mais qui n’enlève pas ce goût particulier. La chair semble blanchâtre sous la sauce. Ce n’est pas du poulet car sa saveur est bien différente et plus forte en goût. La bouche avale sans identifier le contenu inconnu de l’assiette. Les papilles sont en alerte comme l’odorat. C’est dense et moins fondant qu’une volaille. Le couteau déchiquète un morceau et la fourchette hésite à le saisir. Le regard se pose un instant sur l’assiette. La bouche se refuse à avaler le second morceau.